La pizza de maternité

La salle de travail m’impressionne. Je m’attends à un temps d’ascèse parsemé de secousses ; un temps à attendre le bébé, ou les secousses justement, on ne sait plus. Un temps à ne rien faire, ni manger, ni boire, ni se divertir vraiment. Un article de magazine rapidement parcouru, voilà. Dans de telles conditions, je considère comme hautement stratégique le temps qui précède l’arrivée en salle de travail, ces quelques heures passées à la maison autour de la montée en puissance des contractions. J’appréhende une arrivée de Voilamaman en salle de travail en de mauvaises conditions. Et voici ce que je crains le plus et veux repousser absolument : la faim. Imaginer Voilamaman affamée alors que se profilent encore plusieurs heures de travail et l’effort de l’accouchement me paraît insoutenable.
Voilamaman doit manger quelque chose tant qu’elle est à la maison.

Tout à cette idée, je m’occupais du ravitaillement le week-en dernier en compagnie d’un ami espagnol venu nous rendre visite avec une amie belgo-portugaise. Dans chaque rayon, j’annonce : « ça, c’est pour la maternité » et dépose pizzas et plaques de chocolat dans le panier. Une fois rentrés à la maison, mon ami espagnol livre l’état de ses réflexions à Voilamaman : « en Espagne, à l’heure de se rendre à la maternité, le futur papa saute dans la voiture. Chez vous, il fait chauffer une pizza ».

Le pouvoir des pavés sur le calendrier

Nous entrons dans les deux dernières semaines de grossesse. Le bébé peut désormais sortir à tout moment jusqu’à quatre jours au-delà de la date prévue. Nous sommes à terme, c’est plus court de le dire ainsi. Mais personne ne vient encore. Pourtant, il serait bien aDéconnexionvisé de nous rejoindre bientôt. Nous emploierions alors notre mois d’août à le cajoler et à nous reposer. Mais personne ne vient. Et les conseils fleurissent pour avancer l’échéance : « lave les carreaux » et « roule sur les pavés du Vieux-Lille » sont les plus entendus ». Sont également évoqués la marche en forêt, la piscine, la peinture, le vélo et l’incontournable méthode italienne.

Les pavés du Vieux-Lille

Et l’interlocuteur d’évaluer l’efficacité de chaque manière à l’aune de sa propre expérience : « nous avons marché cinq bonnes heures mais il est venu cinq jours plus tard », « la veille de l’accouchement, je peignais les murs de l’appartement de mon frère. Le lendemain, j’étais à la maternité », etc. a vue de nez, ces différentes manières sembleraient agir sur la date d’arrivée du bébé une fois sur deux. Autant dire pas assez pour établir une règle. Ou alors certaines femmes sont sensibles à ces agissements mais d’autres non. Et comment savoir dans quel camp se situe Voilamaman ? J’ai tendance à croire que le bébé vient quand il doit venir…

Avons-nous vraiment préparé la naissance ?

C’était hier. Voilamaman et moi préparions la valise pour la maternité et surtout le petit sac qui l’accompagne et contient les affaires de première nécessité pour l’accouchement. Assis en tailleur, autour de nous les innombrables vêtements pour bébé, nous trions.

Je suis pris d’une angoisse inattendue. Toutes ces affaires, c’est très bien, cette quinzaine de bodies, tant mieux, mais sommes-nous sûrs de pouvoir l’habiller la première fois ? Parmi ces quinze bodies, si nous n’avions aucune taille naissance ? Quelqu’un a-t-il vérifié ? Voilà que le souci tout pratique de la vie quotidienne du bébé, le confort de ses premières heures, m’assaillent. Pour la première fois, j’ai vraiment pensé au bébé. Comme le navigateur en partance imminente pour les Indes. Il rêve d’épices nouvelles, se représente le cap de Bonne-Espérance et les privations en mer mais pas ce qu’il emportera dans son paquetage le lendemain. A-t-il vraiment préparé son voyage ? Je m’étais représenté la poussette et l’écharpe de portage. Nous les avons achetées. Mais je n’avais jamais pensé à vérifier avoir quelque chose à mettre sur le dos du bébé. Ai-je vraiment préparé la naissance ?

Et puis non. Je me refuse à accepter cet état de fait. Nous assurerons les conditions de vie quotidienne de notre bébé et c’est ma joie. Je ne me résous pas pour autant à réduire mes pensées au cadre strict de sa subsistance mais les ouvre aux grands horizons de l’espérance (qui loge souvent en de toutes petites choses). Je ne veux pas seulement qu’il survive, je veux qu’il vive.

La dernière ligne droite

Copilote de rallye, je serais désemparé.

Le pilote et moi avons réfléchi, visualisé chaque virage, répété le scénario de la course des centaines de fois. Jusqu’à cette dernière ligne droite dans laquelle jeter toutes nos forces, concentrés, les yeux du pilote rivés sur le tableau de bord, les miens accrochés au carnet de route. Et la veille de la course, patatras, un valeureux ancien de la course automobile donne son avis. Et il est différent du nôtre. « Dans la dernière ligne droite, regardez autour de vous, levez les yeux ». Et l’argument massue tombe : « si vous ne regardez pas, vous manquez la course ».

Voilà ce qui s’est produit hier soir. Si je ne sais pas encore quelle sera ma place à l’arrivée à la maternité, l’accouchement proprement dit, c’est une autre histoire. Voilamaman me l’a dit, plusieurs d’entre vous me l’ont confirmé : « reste avec la maman, elle en a besoin, et ça t’empêchera de vaciller ». Et hier soir, patatras. un valeureux ancien de la paternité me déstabilise : « regarder l’accouchement, c’est assister à la création du monde ». Et l’argument massue de tomber : « Si tu ne regardes pas, tu manques l’accouchement ».

Et le copilote de Voilamaman de se sentir désemparé.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Voilapapa doit-il rester à côté de Voilamaman ? Ce qui présente l’avantage selon moi de partager le moment avec elle, et de ne pas tourner de l’oeil. Ou Voilapapa doit-il regarder le bébé venir à nous, au monde ?

Le 14 juillet, je n’ai pas osé

Samedi dernier, la nation était en fête. Tout le monde est concerné, les non papas, les papas et les futurs papas. C’est ça, l’esprit de la République. Samedi dernier, nous étions au plein coeur de l’été et le barbecue entre amis n’a pas fait long feu. La pluie était de la partie. C’est ça, un 14 juillet au nord de la Loire.

Un 14 juillet en tant que futur papa, je ne connaissais pas.
Réfugiés à l’intérieur depuis un bon moment, nous devisons autour de la table basse, l’apéritif s’éternise. Et une amie d’aller chercher son bébé qui dort à l’étage, petit bout né trois semaines auparavant. La maman et son enfant entrent dans le salon, le second dans les bras de la première. Le bébé est tellement petit, semble si vulnérable. Il m’impressionne, je reste interdit. Et dire qu’à la naissance, le nouveau-né est encore plus petit, plus frêle aussi. Je n’ose pas demander à la maman de prendre le bébé dans les bras. Quoi, tu n’oses pas alors que dans un mois, tu seras papa ? Mon coeur bat la chamade. Le 14 juillet, je n’ai pas vu de feu d’artifice. J’ai vu un nouveau-né.

La maternité porte bien son nom

J’imagine le trajet en voiture. Les mains tiennent le volant avec fermeté et un peu de crispation, le GPS est allumé alors que j’ai la route bien en tête, ma femme est assise à côté de moi, légèrement plus affalée qu’à l’accoutumée, légèrement plus essoufflée aussi. Pourvu que la voie rapide soit dégagée, le parking de la maternité bien accessible, et que nous soyons rapidement pris en charge.
J’imagine également les heures qui précèdent. A la maison, j’essaie d’offrir une présence rassurante sans trop en faire. Je tente de me rappeler tout ce que ma femme et la sage-femme ont évoqué. Faire couler un bain, ne pas poser de questions, etc.
Non vraiment, la maison et la voiture ne sont pas le sujet du jour. J’imagine la scène avec aisance. Je m’attends à prendre quelques initiatives, ça me rassure.

L’arrivée à la maternité, c’est différent. Je n’imagine pas. Nous sortons de la voiture où futur papa régnait tel un lion en son royaume et débarquons dans l’immense hall de la maternité. Ça grouille de monde, on vient s’enquérir de notre sort, et je suis à pas pressés le petit cortège dans les couloirs jusqu’en salle de travail. Je n’ose pas parler et reste un peu en retrait.
Fort heureusement, nous serons bien pris en charge et le personnel sera très attentif à chacun. Je peine néanmoins à me représenter la place du papa en ces lieux. Dans mon imaginaire de futur papa, la maternité porte décidément bien son nom.

Ca pourrait être maintenant

On m’appelle, pas au téléphone, en bas, une voix pressante. C’est ma femme, pas tout à fait comme d’habitude, elle est pressée. Au milieu de l’escalier, je m’arrête. Ça pourrait être maintenant.

Ma main agrippe la rampe et la serre fort. Nous n’avons pas encore emménagé, nous n’avons pas de poussette, pas de lit, ni…. euh… de toute petite baignoire. Pour la première fois, je prends conscience. Non pas du fait que des accessoires pas du tout accessoires manquent. Je le sais, nous avons prévu les amplettes samedi avant l’emménagement dimanche. Non, pas du tout. Seulement, pour un accouchement imminent, je distingue enfin l’essentiel et urgent du secondaire. Je souhaite à tout futur papa une fausse alerte, même minime, une formule très efficace pour remettre les idées en place. La poussette, par exemple. Utile, certes, mais le jour de la naissance, je pense que nous pouvons nous en passer. Idem pour la toute petite baignoire, pour le lit…

En définitive, en tant que futur papa accroché à ma rampe, je ne vois qu’un élément fondamental sans lequel on ne peut rien : la voiture. Et elle est en révision ! Ma femme, elle, pense à autre chose : sa valise. Et elle n’est pas prête ! Ça aurait pu être maintenant.

Juste avant

Avant, la grossesse. Après, l’accouchement. Entre les deux, un mince fil, le moment juste avant. Quel moment particulier, le moment juste avant l’accouchement. Ça y est, on sent que la grossesse est en voie d’achèvement. On passera bientôt à autre chose, c’est une certitude. Nous étions deux, nous serons trois. Pas dans plusieurs mois mais quelques semaines tout au plus.
Juste avant… Un moment suspendu. Comme le moment juste avant de tomber quand on me pousse dans le dos. Je sais que je vais tomber dans une seconde, c’est inévitable, je suis projeté vers l’avant. Mais pour le moment, je ne suis pas encore tombé. Je suis juste en déséquilibre, totalement fébrile. Je suis juste avant.


Le dernier mois de grossesse, le mois juste avant, c’est maintenant. Nous marchons sur le fil. Heureusement, nous ne nous occupons pas de dérouler la bobine de fil. Nous nous contentons de traverser, un pied devant l’autre, pressés d’atteindre l’autre rive – l’accouchement-, nous qui ne connaissons encore que la rive que nous avons quittée.
On m’a dit tant de choses sur l’accouchement que ne pas dérouler moi-même la bobine de fil me convient bien. L’impatience est forte, tellement grisante que je n’ose plus aller plus loin. C’est un peu comme un bon film qui passe au cinéma. Tout le monde te dit que le film est excellent, qu’il faut ab-so-lu-ment le voir. Alors toi, tu vas le voir. Mais juste avant d’entrer dans la salle, tu es saisi d’appréhension. Et si moi je n’aimais pas ? Et tu n’oses plus y aller, de peur d’être déçu ou de ne pas réagir comme attendu. Qu’elle s’arrête quand elle s’arrêtera, cette bobine de fil, c’est préférable. Je descendrai sur la rive, heureux.

Le monde de la grossesse, ce n’est pas ce qu’on croit

Dans notre sous-marin, nous pénétrons le monde du silence. Les bruits sont étouffés, la lumière tamisée. Ici, la vie est différente.
Nous voici dans le monde du bébé encore foetus ? Pas du tout. Ce monde-là, je ne le connais pas, et si je l’ai connu, j’étais si jeune que je n’en garde pas le moindre souvenir.

Le monde du silence

Je ne peux établir de contact direct avec le monde du bébé dans le ventre de sa maman. C’est bien là le monde du silence. Mais un monde de silence pour moi, selon ma perception. A l’intérieur, j’imagine que les sons, les bruits, ne manquent pas. Lorsque le commandant Cousteau a réalisé le film Le monde du silence  sur les plongées de son équipe dans les grands fonds marins, il donne à voir ce que le plongeur perçoit derrière son masque ou le sous-marin derrière son hublot : un monde silencieux puisque la fonction auditive de l’être humain ne s’exerce pas sous l’eau. Le monde du silence, c’est le monde du plongeur, ce n’est pas la mer. De la même manière, lors de la grossesse, le monde du silence, c’est ce que les parents perçoivent du monde du bébé.

Les parents en sous-marin

Et les parents d’embarquer en sous-marin pour pénétrer le monde du silence. Les sous-mariniers sont des gens comme les autres, mais une fois le point à atteindre inscrit sur le radar, ils deviennent légèrement différents. Au milieu du monde du silence, ils regardent et approchent l’écran radar avec une grande méticulosité. Leurs voix se font plus sourdes pour éviter de déranger. Les murs du sous-marin sont bien là ; ils ne voient rien mais sentent qu’ils approchent.
Le sous-marin des parents fonctionne exactement de la même manière. A croire qu’il est fourni par la Marine nationale. Les parents sont des gens comme les autres, mais une fois décidée l’entrée en contact avec le bébé dans le ventre de sa maman, ils sont légèrement différents. Ils regardent et approchent leur main avec religiosité, leurs voix chuchotent comme si elles pouvaient déranger. La paroi du ventre est bien là. Les mains posées dessus, ils sentent qu’ils approchent.

Et vous, parents ou futurs parents, comme se passe votre vie en sous-marin ? 

Arrêtons avec l’avenir de nos enfants ?

Ce vendredi 6 juillet m’a posé problème. Ce jour-là, nous avons fête ou pleuré les résultats du bac et commémoré la disparition de Louis Armstrong. Aucun rapport me dit-on. Et pourtant, en moi, le futur papa trouve rapidement le lien. Le bac, c’est la porte ouverte à un avenir professionnel qu’on imagine prometteur. Louis Armstrong, c’est la carrière la plus fulgurante et la plus généreuse dont on puisse rêver.

Et je me prends à imaginer notre enfant attendre fébrilement les résultats du bac un matin frais de juillet 2030 au pied de l’écran tactile installé à l’entrée du lycée. Je le distingue également en tenue de gala, le sourire éclatant, en communion avec le public. Comme Louis Armstrong. Quelle belle vie.

Aïe, arrête. Je n’ai jamais voulu être gentiment déposé dans une petite case de laquelle je ne pourrais plus m’extirper. Et je me prends à imaginer l’avenir de notre enfant ? Cela me semble d’autant plus ridicule que je me ficherais éperdumment qu’il obtienne le bac ou devienne trompettiste, s’il est heureux. Bien entendu, je tiens à ce que notre enfant détermine lui-même le sens qu’il souhaite donner à sa vie à partir des repères que sa famille et la société lui offrent. Pourtant, je ne peux m’empêcher de l’imaginer plus tard, une fois adulte. J’ai besoin de nous projeter dans l’avenir, je le reconnais… Et dire qu’il n’est même pas encore né.

Voilà ma question exisxtentielle : comment préserver l’avenir de son enfant sans l’étouffer avec ses propres rêves de parents ?