Le sprint de l’école

Je pars avec un temps de retard, toujours. A 12 ans, mon entraîneur déjà me le reprochait : « C’est pas mal Usain mais soigne tes départs, tu pars en retard, toujours ». Rien n’y fait, ça n’a jamais varié. Le coup de feu retentit, et tandis que les autres posent un premier pied dans le couloir, je reste là, coincé derrière la ligne de départ. Oh, ça ne dure pas. Un centième de seconde, deux maximum, je ne sais pas. Seulement, un sprint de 200m, c’est un combat à coup de dixièmes de secondes, de millièmes parfois. Et puis, je sais me rattraper et gagner souvent : mieux vaut être en retard au départ qu’à l’arrivée. Alors pendant les 200m, je cravache. Finir premier, c’est tout. Aujourd’hui en particulier : un jour olympique. Nous sommes à Londres, je n’ai plus 12 ans et n’ai qu’une obsession : finir premier. Ne rien penser d’autre.

Finir premier, finir premier. Je prends position sur la ligne de départ, les mains au sol, les yeux levés en direction du virage. Ne pas louper le virage. Chut, argh, arrête de te dissiper, laisse le virage, ne pense qu’à une chose : finir premier. Finir premier.

Le coup de feu retentit. Tout le monde s’élance. Sauf moi. Je m’en moque, j’ai l’habitude. Aujourd’hui, pourtant, un phénomène étrange se produit : un petit génie apparaît, juste en face de moi. Un petit garçon plutôt.

« Je m’appelle Voilabébé. T’es comme mon papa toi ».

Que me veut-il celui-là ? Il ne voit pas que je suis légèrement occupé ?

« Bah oui, tu pars en retard. Lui aussi, toujours. Alors après, il court sur le chemin de l’école. Ca y est, tu es parti. Mais toi aussi, tu cours ! Pourquoi, t’es en retard à l’école ? »

Mais je lui en ficherais des pourquoi. Il ne veut pas revenir me parler dans 20 secondes celui-là ? Il est pire qu’un journaliste. Juste 20 secondes pour l’éternité.

« Tu réponds pas parce que tu souffles. Pourquoi tu souffles comme ça quand tu cours dis ? »

Et en plus, il pose des questions. Mais tu vas me laisser oui, Voilamachin ?! Le virage arrive… Ne pas louper le virage. Ne pas louper le virage…

« Pourquoi t’as mis tes baskets ? Après tu vas au sport ? »

Il commence à me saouler avec ses pourquoi. Trois déjà. En moins de 20 secondes. Il est fou ce garçon.

« Dis, pourquoi mon papa il n’aime pas que je pose des questions quand il court sur le chemin de l’école ? Dis, pourquoi ? »

Je ne le connais pas mais je l’aime bien ton papa, tu sais…

« Pourquoi tous ces gens ont des drapeaux, dis ? Moi aussi, j’ai un copain, devant le rugby, il a un drapeau. Pourquoi t’as pas de drapeau ? »

Voilacopain devant France - Nouvelle Zélande

Voilacopain devant France – Nouvelle Zélande (spéciale dédicace à Voilacopainpapa pour la photo)

La ligne d’arrivée. Je vois la ligne d’arrivée. J’allonge la foulée. Champion olympique, c’est pas croyable, champion olympique. Les journalistes se ruent sur moi.

« Bravo M. Bolt, c’est extraordinaire. Pourquoi avoir dit que le record du monde n’était pas atteignable ? »

« PARCE QUE »