Sans rien dire

Je ne sais plus quoi dire.

La grossesse, c’était l’attente. On gravitait autour du principal intéressé sans jamais le voir. Que dire ? L’événement restait à venir, Voilabébé n’était pas tout à fait là, rien n’avait encore eu lieu. Et j’écrivais pourtant, beaucoup. Au rythme de trois articles par semaine. Alors que je pensais avoir si peu à dire…

Et Voilabébé est arrivé. Il s’en est passé des choses depuis la naissance. Je devrais avoir tout à dire. Je les vois bien ces petites anecdotes de la vie, celles qu’on dit. Voilabébé est léger mais nous fait crouler (et écrouler de rire) sous les mimiques. Celle du chef d’orchestre qui écarte les bras avec une autorité suprême et le regard inspiré, celle de la chasse à l’antilope quand, tourné sur le ventre, il guette, s’apprête à ramper mais, en vieux bonhomme, sait ne pas se faire repérer. Elles sont tellement présentes ces choses à dire que je ne sais plus où commencer (Ceci pour dire que j’ai mis du temps à revenir.. Un immense merci pour tous vos messages ! Vous m’avez manqué !)

Je ne sais pas les dire.

Une fois lavé et le cordon coupé, on l’a posé sur moi aussi sans rien dire. On a bien fait de ne rien me dire : je ne me suis rien dit non plus. « Tu te rends compte, tu es papa, pa-pa, non mais tu te rends compte ». Non, ce genre de phrases, on les répète avant, à l’époque de la grossesse. Pas pendant. Pendant, tu te fous de savoir ce que c’est un papa. Ce que ça implique, tu t’en moques. Ton enfant est né et va grandir. Et toi aussi : tu es un nouveau papa… et tu vas grandir. Alors tu ne te dis pas « oh là là, mais je ne sais rien faire. Que vais-je faire de toi ? ».

Non, tu fais. Sans rien dire.

Quand tu reçois un invité à la maison, tu ne sais peut-être rien faire, ni la cuisine ni le lit. Mais quand il arrive, ton invité, tu le reçois quand même. Tu lui serres la pince, tu lui adresses la parole, tu sais ouvrir la poignée de la porte de sa chambre.

Tu fais. Sans rien dire.

L’accueil de Voilabébé, c’est bien pareil. Avant la naissance, tu te sens désarmé face à l’immense tâche à venir. Et tout le monde t’énerve : « pff, mais ça vient tout seul, tu verras, c’est extraôôôrdinaire ».  Et le pire, c’est que c’est la vérité. Le jour de la naissance, tu ne demandes à personne comment porter ton enfant. Tu le portes. Tu demandes, en revanche, comment changer une couche. Mais c’est toi qui le changes. La nuit, tu ne te poses pas la question de savoir si tu es fatigué ou pas. Tu te lèves.

Sans rien dire, tu le fais.

Et Voilabébé est là, devant toi. Tu voudrais dévorer ses joues rebondies, accrocher ces grands yeux de ton regard, passer la journée à lui faire des papouilles dans le cou. Il est fort, Voilabébé.

Sans rien dire, il donne plein d’envies à Voilamaman et Voilapapa. Ca le fait.

La seule chose certaine…

La voisine : « la seule chose certaine, c’est qu’à notre retour de vacances, vous serez un de plus à la maison ».

La grand-mère du déjeuner du dimanche midi : « la seule chose certaine, c’est que dimanche prochain, il ou elle sera parmi nous ».

Le collègue-qui-sait-tout-sur-tout : « l’attente est longue, c’est sûr, mais une chose est certaine : dans une semaine, c’est plié ».

La voisine est rentrée de vacances, dimanche arrive et le jour du terme date presque d’une semaine. Une seule chose est certaine : Voilabébé n’est pas là.

Comme rien n’est certain – peut-être le principal enseignement de cette fin de grossesse -, je ne peux pas garantir à quoi ressemblera ma vie une fois Voilabébé arrivé. J’espère de tout coeur continuer à tenir ce blog. Je ne compte pas du tout l’arrêter ni même le mettre en stand-by mais le rythme de publications sera peut-être perturbé. Qui sait ?

Je ne m’attendais pas à ce que les rencontres – drôles, touchantes, profondes – faites à travers ce blog me procurent autant de joie. Je tiens à vous remercier de tout coeur, très chères lectrices et lecteurs, très chères commentatrices et commentateurs, pour ces beaux moments de partage.

La seule chose certaine (au cas où je ne pourrais revenir de sitôt), c’est que vous allez me manquer.

Après l’heure, c’est encore l’heure

Après l’heure, ce n’est plus l’heure. Sage adage populaire. Il permet de triompher de toute situation. Un entretien d’embauche prévu demain à 14h ? Portez le costume le plus strict, subissez des heures d’entraînement avec le père de votre meilleur ami, si vous n’êtes pas à l’heure, c’est peine perdue. Après l’heure, ce n’est plus l’heure.

La grossesse semble pourtant faire exception. L’heure du terme est fixée dès le troisième mois. Que le bébé arrive avant l’heure, il sera à l’avance et prendra simplement son temps à la sortie. Qu’il arrive à l’heure dite – le jour du terme -, il fera figure d’exception (l’accouchement n’est pas un entretien d’embauche, c’est confirmé) ! Seuls 4 % des naissances ont lieu le jour du terme. Qu’il arrive en retard, on l’accueille avec autant de plaisir… Alors, remise ton costume au placard Voilabébé, arrête l’entraînement… Et rejoins-nous !

Le jour du terme, le Jour J ?

Tout au long du huitième mois, on attend fébrilement le jour J, celui de la naissance. Les futurs parents sont à l’affût du moindre signe annonciateur de l’heureux événement, prêts à sauter dans la voiture en direction de la maternité. Les questions de l’entourage ou du voisin à la caisse du supermarché se font plus pressantes : « alors, c’est pour bientôt ? », « c’est la dernière ligne droite ? » Et les futurs parents d’apporter sempiternellement la même réponse : « oui, ça approche, c’est prévu pour le 13 août ». A force d’approcher, nous baissons la garde. Nous n’espérons plus fébrilement la naissance pour le jour suivant et nous contentons de nous répéter que, de toute façon, elle viendra bien un jour cette naissance.

Et le 13 août arrive et avec lui, aucun signe annonciateur mais des tonnes de messages d’une teneur nouvelle :  « si tu ne réponds pas, c’est que tu es en salle d’accouchement », « il va pointer le bout de son nez », etc. A attendre la naissance à tout moment, je ne me doute plus que pour l’entourage, le Jour J, c’est aujourd’hui. Bien loin de baisser sa garde, l’entourage a renforcé ses sentinelles et les a concentrées autour d’une seule date : le jour du terme. Nous n’entendons plus : « c’est pour bientôt » mais « c’est aujourd’hui ». A croire que le jour du terme, l’entourage nous précéde en salle d’accouchement…

La date du terme et la courbe de l’impatience

A 3 mois, le gynéco donne une date de terme. Il ne se prend pas pour Dieu le père, il se prend seulement à l’exercice des probabilités. Selon l’évolution du foetus au jour de l’échographie des trois mois, le jour le plus probable de naissance est le 13 août (dans notre cas). Et la courbe de Gauss de se mettre en place.

Au sommet de la courbe, le 13 août, les chances de naissance sont maximales. Plus on s’éloigne de cette fameuse date du terme, plus les chances de naissance s’amenuisent, tendent vers 0 % de probabilité.

Les dates entourant le 13 août – les 11, 12, 14 et 15 août – supportent encore des valeurs très élevées. Le bébé a certes moins de chances de naître le 11 août que le 13 août mais cela reste fortement probable. Et pourtant…. Comme nous sommes entrés dans le champ des probables depuis un certain temps (8 mois et 1 semaine, voire plus tôt), notre patience s’essouffle. A force d’espérer l’arrivée du bébé le lendemain, on la repousse dans son esprit à la semaine suivante. Bref, alors que les chance de naissance n’ont jamais été aussi fortes qu’à partir du 11 août, nous ne ressentons plus son arrivée comme aussi imminente que le 31 juillet ou le 3 août. L’impatience est une bien curieuse science mathématique…

Voilà papa, je suis champion olympique

Au trente-cinquième kilomètre, j’étais loin de la tête de course. J’ai réussi à lancer ma foulée, la grande, la belle, cette foulée qui a fait briller mon régiment lors des compétitions militaires. Et je les ai dépassés, tous, jusqu’à franchir la ligne d’arrivée en tête. Personne ne m’attendait, le sentiment de la victoire était immense, inouï, éternel espérais-je. Voilà papa, je suis champion olympique.

Gagner l’or ne couvre pas d’argent. Outre-atlantique, j’ai alors gagné ma croûte à courir face à des hommes ou des animaux. Le public acclamait la bête de course que j’étais . Ou la bête de foire, je n’ai jamais vraiment su. Comme je gagnais ma vie en courant, je ne pouvais plus participer aux Jeux olympiques réservés aux sportifs amateurs. Malheur, toute ma reconnaissance personnelle est bâtie sur ma victoire olympique, papa. Tout s’est alors emballé, a mal tourné, a échoué. Voilà papa, je suis champion olympique et aujourd’hui, je suis à la rue.

Cet article lance la série  « Voilà papa, je suis ». Les histoires d’un destin qu’une fille ou un fils raconterait à son père. Aujourd’hui, voici les propos imaginaires d’Ahmed Boughéra El Ouafi, champion olympique français de marathon à Amsterdam en 1928, presque aussitôt oublié de tous. Il finira sa vie en 1959, miséreux et assassiné par le FLN dans le contexte de la guerre d’Algérie. 

8 mois et 1 semaine : l’illusion du sommet

Rien de plus technique que la préparation d’une course d’alpinisme. On veut gravir le Mont-Blanc, atteindre le sommet. Comme pour l’attente d’un enfant, la préparation logistique prend rapidement le pas sur toute autre considération. Il faut préparer les séjours dans les camps d’altitude successifs, ces paliers qui ponctuent l’ascension. Planter les tentes solidement, s’abriter du vent sans s’exposer au risque d’avalanche, installer un système d’éclairage rudimentaire, etc. Tout s’anticipe. La préparation de la vie en camp d’altitude occupe l’esprit, devient le principal sujet de préoccupation.

L’ascension débute demain. La première nuit au camp de base se déroule très bien. Le matin suivant, nous marchons vers le premier camp d’altitude. Le soir, l’installation des tentes me crispe mais tout se passe comme prévu. Le soir suivant, même chose. Jusqu’au camp d’altitude du dernier soir. Je me couche le sourire aux lèvres. Le lendemain matin, je me lève fourbu, harassé par la fatigue, assailli de lassitude. C’est le dernier camp, le dernier jour, mais pas le dernier pas. Le sommet est encore loin. Je doute de mes capacités à l’atteindre.

La grossesse, c’est la même chose : 8 mois et 1 semaine ou le dernier camp d’altitude, l’ultime marche à franchir. Et cette date est passée. Tout est prêt, sauf le bébé semble-t-il, ce qui décuple notre impatience. Nous ne sommes pas encore au sommet, seulement au dernier camp d’altitude. Je l’avais oublié.

La pizza de maternité

La salle de travail m’impressionne. Je m’attends à un temps d’ascèse parsemé de secousses ; un temps à attendre le bébé, ou les secousses justement, on ne sait plus. Un temps à ne rien faire, ni manger, ni boire, ni se divertir vraiment. Un article de magazine rapidement parcouru, voilà. Dans de telles conditions, je considère comme hautement stratégique le temps qui précède l’arrivée en salle de travail, ces quelques heures passées à la maison autour de la montée en puissance des contractions. J’appréhende une arrivée de Voilamaman en salle de travail en de mauvaises conditions. Et voici ce que je crains le plus et veux repousser absolument : la faim. Imaginer Voilamaman affamée alors que se profilent encore plusieurs heures de travail et l’effort de l’accouchement me paraît insoutenable.
Voilamaman doit manger quelque chose tant qu’elle est à la maison.

Tout à cette idée, je m’occupais du ravitaillement le week-en dernier en compagnie d’un ami espagnol venu nous rendre visite avec une amie belgo-portugaise. Dans chaque rayon, j’annonce : « ça, c’est pour la maternité » et dépose pizzas et plaques de chocolat dans le panier. Une fois rentrés à la maison, mon ami espagnol livre l’état de ses réflexions à Voilamaman : « en Espagne, à l’heure de se rendre à la maternité, le futur papa saute dans la voiture. Chez vous, il fait chauffer une pizza ».

Juste avant

Avant, la grossesse. Après, l’accouchement. Entre les deux, un mince fil, le moment juste avant. Quel moment particulier, le moment juste avant l’accouchement. Ça y est, on sent que la grossesse est en voie d’achèvement. On passera bientôt à autre chose, c’est une certitude. Nous étions deux, nous serons trois. Pas dans plusieurs mois mais quelques semaines tout au plus.
Juste avant… Un moment suspendu. Comme le moment juste avant de tomber quand on me pousse dans le dos. Je sais que je vais tomber dans une seconde, c’est inévitable, je suis projeté vers l’avant. Mais pour le moment, je ne suis pas encore tombé. Je suis juste en déséquilibre, totalement fébrile. Je suis juste avant.


Le dernier mois de grossesse, le mois juste avant, c’est maintenant. Nous marchons sur le fil. Heureusement, nous ne nous occupons pas de dérouler la bobine de fil. Nous nous contentons de traverser, un pied devant l’autre, pressés d’atteindre l’autre rive – l’accouchement-, nous qui ne connaissons encore que la rive que nous avons quittée.
On m’a dit tant de choses sur l’accouchement que ne pas dérouler moi-même la bobine de fil me convient bien. L’impatience est forte, tellement grisante que je n’ose plus aller plus loin. C’est un peu comme un bon film qui passe au cinéma. Tout le monde te dit que le film est excellent, qu’il faut ab-so-lu-ment le voir. Alors toi, tu vas le voir. Mais juste avant d’entrer dans la salle, tu es saisi d’appréhension. Et si moi je n’aimais pas ? Et tu n’oses plus y aller, de peur d’être déçu ou de ne pas réagir comme attendu. Qu’elle s’arrête quand elle s’arrêtera, cette bobine de fil, c’est préférable. Je descendrai sur la rive, heureux.

Le monde de la grossesse, ce n’est pas ce qu’on croit

Dans notre sous-marin, nous pénétrons le monde du silence. Les bruits sont étouffés, la lumière tamisée. Ici, la vie est différente.
Nous voici dans le monde du bébé encore foetus ? Pas du tout. Ce monde-là, je ne le connais pas, et si je l’ai connu, j’étais si jeune que je n’en garde pas le moindre souvenir.

Le monde du silence

Je ne peux établir de contact direct avec le monde du bébé dans le ventre de sa maman. C’est bien là le monde du silence. Mais un monde de silence pour moi, selon ma perception. A l’intérieur, j’imagine que les sons, les bruits, ne manquent pas. Lorsque le commandant Cousteau a réalisé le film Le monde du silence  sur les plongées de son équipe dans les grands fonds marins, il donne à voir ce que le plongeur perçoit derrière son masque ou le sous-marin derrière son hublot : un monde silencieux puisque la fonction auditive de l’être humain ne s’exerce pas sous l’eau. Le monde du silence, c’est le monde du plongeur, ce n’est pas la mer. De la même manière, lors de la grossesse, le monde du silence, c’est ce que les parents perçoivent du monde du bébé.

Les parents en sous-marin

Et les parents d’embarquer en sous-marin pour pénétrer le monde du silence. Les sous-mariniers sont des gens comme les autres, mais une fois le point à atteindre inscrit sur le radar, ils deviennent légèrement différents. Au milieu du monde du silence, ils regardent et approchent l’écran radar avec une grande méticulosité. Leurs voix se font plus sourdes pour éviter de déranger. Les murs du sous-marin sont bien là ; ils ne voient rien mais sentent qu’ils approchent.
Le sous-marin des parents fonctionne exactement de la même manière. A croire qu’il est fourni par la Marine nationale. Les parents sont des gens comme les autres, mais une fois décidée l’entrée en contact avec le bébé dans le ventre de sa maman, ils sont légèrement différents. Ils regardent et approchent leur main avec religiosité, leurs voix chuchotent comme si elles pouvaient déranger. La paroi du ventre est bien là. Les mains posées dessus, ils sentent qu’ils approchent.

Et vous, parents ou futurs parents, comme se passe votre vie en sous-marin ?