Le jour du terme, le Jour J ?

Tout au long du huitième mois, on attend fébrilement le jour J, celui de la naissance. Les futurs parents sont à l’affût du moindre signe annonciateur de l’heureux événement, prêts à sauter dans la voiture en direction de la maternité. Les questions de l’entourage ou du voisin à la caisse du supermarché se font plus pressantes : « alors, c’est pour bientôt ? », « c’est la dernière ligne droite ? » Et les futurs parents d’apporter sempiternellement la même réponse : « oui, ça approche, c’est prévu pour le 13 août ». A force d’approcher, nous baissons la garde. Nous n’espérons plus fébrilement la naissance pour le jour suivant et nous contentons de nous répéter que, de toute façon, elle viendra bien un jour cette naissance.

Et le 13 août arrive et avec lui, aucun signe annonciateur mais des tonnes de messages d’une teneur nouvelle :  « si tu ne réponds pas, c’est que tu es en salle d’accouchement », « il va pointer le bout de son nez », etc. A attendre la naissance à tout moment, je ne me doute plus que pour l’entourage, le Jour J, c’est aujourd’hui. Bien loin de baisser sa garde, l’entourage a renforcé ses sentinelles et les a concentrées autour d’une seule date : le jour du terme. Nous n’entendons plus : « c’est pour bientôt » mais « c’est aujourd’hui ». A croire que le jour du terme, l’entourage nous précéde en salle d’accouchement…

La date du terme et la courbe de l’impatience

A 3 mois, le gynéco donne une date de terme. Il ne se prend pas pour Dieu le père, il se prend seulement à l’exercice des probabilités. Selon l’évolution du foetus au jour de l’échographie des trois mois, le jour le plus probable de naissance est le 13 août (dans notre cas). Et la courbe de Gauss de se mettre en place.

Au sommet de la courbe, le 13 août, les chances de naissance sont maximales. Plus on s’éloigne de cette fameuse date du terme, plus les chances de naissance s’amenuisent, tendent vers 0 % de probabilité.

Les dates entourant le 13 août – les 11, 12, 14 et 15 août – supportent encore des valeurs très élevées. Le bébé a certes moins de chances de naître le 11 août que le 13 août mais cela reste fortement probable. Et pourtant…. Comme nous sommes entrés dans le champ des probables depuis un certain temps (8 mois et 1 semaine, voire plus tôt), notre patience s’essouffle. A force d’espérer l’arrivée du bébé le lendemain, on la repousse dans son esprit à la semaine suivante. Bref, alors que les chance de naissance n’ont jamais été aussi fortes qu’à partir du 11 août, nous ne ressentons plus son arrivée comme aussi imminente que le 31 juillet ou le 3 août. L’impatience est une bien curieuse science mathématique…

8 mois et 1 semaine : l’illusion du sommet

Rien de plus technique que la préparation d’une course d’alpinisme. On veut gravir le Mont-Blanc, atteindre le sommet. Comme pour l’attente d’un enfant, la préparation logistique prend rapidement le pas sur toute autre considération. Il faut préparer les séjours dans les camps d’altitude successifs, ces paliers qui ponctuent l’ascension. Planter les tentes solidement, s’abriter du vent sans s’exposer au risque d’avalanche, installer un système d’éclairage rudimentaire, etc. Tout s’anticipe. La préparation de la vie en camp d’altitude occupe l’esprit, devient le principal sujet de préoccupation.

L’ascension débute demain. La première nuit au camp de base se déroule très bien. Le matin suivant, nous marchons vers le premier camp d’altitude. Le soir, l’installation des tentes me crispe mais tout se passe comme prévu. Le soir suivant, même chose. Jusqu’au camp d’altitude du dernier soir. Je me couche le sourire aux lèvres. Le lendemain matin, je me lève fourbu, harassé par la fatigue, assailli de lassitude. C’est le dernier camp, le dernier jour, mais pas le dernier pas. Le sommet est encore loin. Je doute de mes capacités à l’atteindre.

La grossesse, c’est la même chose : 8 mois et 1 semaine ou le dernier camp d’altitude, l’ultime marche à franchir. Et cette date est passée. Tout est prêt, sauf le bébé semble-t-il, ce qui décuple notre impatience. Nous ne sommes pas encore au sommet, seulement au dernier camp d’altitude. Je l’avais oublié.

Si les gens savaient

« Voilamaman n’est pas trop fatiguée ? Elle ne doit plus beaucoup se déplacer ». La question est maintes fois posée. Si les gens savaient.

Après avoir comptés sur un accouchement relativement précoce – au milieu du 8e mois -, nous distinguons de plus en plus nettement la date du terme se profiler. Elle arrive vers nous, mais pas à vive allure. Et Voilamaman de s’activer pour avancer l’échéance. Et Voilapapa, très officiellement en vacances, de suivre les travaux d’intérieur lancés par Voilamaman. Malheur (!), nous venons de déménager, les choses à réaliser dans la maison sont innombrables : accrocher une barre à rideaux, monter une table au dernier étage, descendre les cartons à la cave… « Voilamaman n’est pas trop fatiguée ? Elle ne doit plus beaucoup se déplacer ». Si les gens savaient…

Le pouvoir des pavés sur le calendrier

Nous entrons dans les deux dernières semaines de grossesse. Le bébé peut désormais sortir à tout moment jusqu’à quatre jours au-delà de la date prévue. Nous sommes à terme, c’est plus court de le dire ainsi. Mais personne ne vient encore. Pourtant, il serait bien aDéconnexionvisé de nous rejoindre bientôt. Nous emploierions alors notre mois d’août à le cajoler et à nous reposer. Mais personne ne vient. Et les conseils fleurissent pour avancer l’échéance : « lave les carreaux » et « roule sur les pavés du Vieux-Lille » sont les plus entendus ». Sont également évoqués la marche en forêt, la piscine, la peinture, le vélo et l’incontournable méthode italienne.

Les pavés du Vieux-Lille

Et l’interlocuteur d’évaluer l’efficacité de chaque manière à l’aune de sa propre expérience : « nous avons marché cinq bonnes heures mais il est venu cinq jours plus tard », « la veille de l’accouchement, je peignais les murs de l’appartement de mon frère. Le lendemain, j’étais à la maternité », etc. a vue de nez, ces différentes manières sembleraient agir sur la date d’arrivée du bébé une fois sur deux. Autant dire pas assez pour établir une règle. Ou alors certaines femmes sont sensibles à ces agissements mais d’autres non. Et comment savoir dans quel camp se situe Voilamaman ? J’ai tendance à croire que le bébé vient quand il doit venir…

Avons-nous vraiment préparé la naissance ?

C’était hier. Voilamaman et moi préparions la valise pour la maternité et surtout le petit sac qui l’accompagne et contient les affaires de première nécessité pour l’accouchement. Assis en tailleur, autour de nous les innombrables vêtements pour bébé, nous trions.

Je suis pris d’une angoisse inattendue. Toutes ces affaires, c’est très bien, cette quinzaine de bodies, tant mieux, mais sommes-nous sûrs de pouvoir l’habiller la première fois ? Parmi ces quinze bodies, si nous n’avions aucune taille naissance ? Quelqu’un a-t-il vérifié ? Voilà que le souci tout pratique de la vie quotidienne du bébé, le confort de ses premières heures, m’assaillent. Pour la première fois, j’ai vraiment pensé au bébé. Comme le navigateur en partance imminente pour les Indes. Il rêve d’épices nouvelles, se représente le cap de Bonne-Espérance et les privations en mer mais pas ce qu’il emportera dans son paquetage le lendemain. A-t-il vraiment préparé son voyage ? Je m’étais représenté la poussette et l’écharpe de portage. Nous les avons achetées. Mais je n’avais jamais pensé à vérifier avoir quelque chose à mettre sur le dos du bébé. Ai-je vraiment préparé la naissance ?

Et puis non. Je me refuse à accepter cet état de fait. Nous assurerons les conditions de vie quotidienne de notre bébé et c’est ma joie. Je ne me résous pas pour autant à réduire mes pensées au cadre strict de sa subsistance mais les ouvre aux grands horizons de l’espérance (qui loge souvent en de toutes petites choses). Je ne veux pas seulement qu’il survive, je veux qu’il vive.

A la recherche du prénom

Oui, nous avons vu le film. Et nous aussi, nous cherchons un prénom pour le bébé. Je ne suis jamais si excité qu’au moment de partir à la recherche de prénoms. C’est la chasse tous azimuts, le champ de tous les possibles. La liste de prénoms, c’est le voyage perpétuel. Un peu de sable en bordure d’oasis, la lumière rafraîchissante des fjords norvégiens, la nostalgie de la cour de Charlemagne et de sa femme au grand pied. Je tais son prénom à dessein. Oui, on trouve ce concentré de saveurs et un brin d’exotisme dans une toute petite liste de prénoms. Non, je ne dirai rien. Ni le prénom de l’impératrice carolingienne, ni aucun autre. Aucune piste. La raison est simple. En trois mois, j’ai affirmé à trois reprises que notre choix était définitif. Le hic, le voici : à chaque fois, le prénom était différent…

Un moyen infaillible pour rassurer futur papa

Déménager.

Hier soir, je rentre à la maison, navigue entre les cartons, ne sais plus où donner de la tête. Jusqu’à l’instant où mon regard se fixe, vacille, et mes lèvres tremblent. « Les affaires du bébé ». C’est écrit sur ce carton, le petit au-dessus de la pile, 50x30x30 cm au maximum. Le bébé est bien au chaud dans le ventre de sa maman mais son carton est prêt, lui, pas de problème.

Toutes les affaires du bébé tiennent en une petite boîte. Quelques bodies (mot hors de mon vocabulaire avant 2012), une paire de chaussons et une boîte à musique. Et ce 50x30x30 cm me rassure et m’apaise. Respire, tout est sous contrôle. Plus tard, tu t’échineras à ranger la poussette sous la cage d’escalier, tu feras couler le bain et ramperas sous le tapis de la crèche à la recherche du doudou perdu. Oui, plus tard. Aujourd’hui, respire. Tout tient en 50x30x30 cm. Le carton est bien fermé, rien ne déborde. Jusqu’ici, tout va bien.

Neuf mois pour devenir papa

9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2… Le compte à rebours est bien entamé. Dans un mois et demi, c’est le décollage vers une autre sphère : la galaxie des papas. Comme son nom l’indique, c’est une voie lactée entièrement peuplée de papas, de leurs espoirs, leurs peurs, leurs désirs, etc. Je vais donc en faire partie, je serai un papa parmi tous les autres papas. Et papa, c’est un vrai statut. A la crèche, à l’école ou au tennis club-house, je dirai : « bonjour, je suis le papa d’Untel/Unetelle » (on ne connaît pas le sexe,  et le prénom, c’est un vrai sujet). Je ne me présenterai pas par mes prénom et nom. Quand tu es papa, c’est écrit sur ton front. Ouh là.

A partir de quand se sent-on devenir papa ? Dans mon cas, certainement pas quand ma femme m’a annoncé être enceinte (joie !). On se sent heureux, surpris, mais certainement pas papa. On essaie de réaliser : « on attend un enfant, on attend un enfant, on attend un enfant ». Mais on ne se répète pas : « je vais être papa, je vais être papa, je vais être papa ». Nuance de taille.  Le sentiment naît peu à peu au cours des neuf mois de grossesse (la nature est bien faite) quand quelques événements vous hurlent à l’oreille : « tu vas être papa, tu vas être papa, tu vas être papa ». Ce sont ces moments où l’on prend conscience qu’une nouvelle personne arrive : la première échographie, les dialogues sur le ventre de la maman, les coups de plus en plus prononcés. On se dit alors : « il y a bien quelqu’un mais il semble tellement vulnérable »… Il faut bien que quelqu’un se charge de lui : papa et maman !