Après l’heure, c’est encore l’heure

Après l’heure, ce n’est plus l’heure. Sage adage populaire. Il permet de triompher de toute situation. Un entretien d’embauche prévu demain à 14h ? Portez le costume le plus strict, subissez des heures d’entraînement avec le père de votre meilleur ami, si vous n’êtes pas à l’heure, c’est peine perdue. Après l’heure, ce n’est plus l’heure.

La grossesse semble pourtant faire exception. L’heure du terme est fixée dès le troisième mois. Que le bébé arrive avant l’heure, il sera à l’avance et prendra simplement son temps à la sortie. Qu’il arrive à l’heure dite – le jour du terme -, il fera figure d’exception (l’accouchement n’est pas un entretien d’embauche, c’est confirmé) ! Seuls 4 % des naissances ont lieu le jour du terme. Qu’il arrive en retard, on l’accueille avec autant de plaisir… Alors, remise ton costume au placard Voilabébé, arrête l’entraînement… Et rejoins-nous !

Le jour du terme, le Jour J ?

Tout au long du huitième mois, on attend fébrilement le jour J, celui de la naissance. Les futurs parents sont à l’affût du moindre signe annonciateur de l’heureux événement, prêts à sauter dans la voiture en direction de la maternité. Les questions de l’entourage ou du voisin à la caisse du supermarché se font plus pressantes : « alors, c’est pour bientôt ? », « c’est la dernière ligne droite ? » Et les futurs parents d’apporter sempiternellement la même réponse : « oui, ça approche, c’est prévu pour le 13 août ». A force d’approcher, nous baissons la garde. Nous n’espérons plus fébrilement la naissance pour le jour suivant et nous contentons de nous répéter que, de toute façon, elle viendra bien un jour cette naissance.

Et le 13 août arrive et avec lui, aucun signe annonciateur mais des tonnes de messages d’une teneur nouvelle :  « si tu ne réponds pas, c’est que tu es en salle d’accouchement », « il va pointer le bout de son nez », etc. A attendre la naissance à tout moment, je ne me doute plus que pour l’entourage, le Jour J, c’est aujourd’hui. Bien loin de baisser sa garde, l’entourage a renforcé ses sentinelles et les a concentrées autour d’une seule date : le jour du terme. Nous n’entendons plus : « c’est pour bientôt » mais « c’est aujourd’hui ». A croire que le jour du terme, l’entourage nous précéde en salle d’accouchement…

La date du terme et la courbe de l’impatience

A 3 mois, le gynéco donne une date de terme. Il ne se prend pas pour Dieu le père, il se prend seulement à l’exercice des probabilités. Selon l’évolution du foetus au jour de l’échographie des trois mois, le jour le plus probable de naissance est le 13 août (dans notre cas). Et la courbe de Gauss de se mettre en place.

Au sommet de la courbe, le 13 août, les chances de naissance sont maximales. Plus on s’éloigne de cette fameuse date du terme, plus les chances de naissance s’amenuisent, tendent vers 0 % de probabilité.

Les dates entourant le 13 août – les 11, 12, 14 et 15 août – supportent encore des valeurs très élevées. Le bébé a certes moins de chances de naître le 11 août que le 13 août mais cela reste fortement probable. Et pourtant…. Comme nous sommes entrés dans le champ des probables depuis un certain temps (8 mois et 1 semaine, voire plus tôt), notre patience s’essouffle. A force d’espérer l’arrivée du bébé le lendemain, on la repousse dans son esprit à la semaine suivante. Bref, alors que les chance de naissance n’ont jamais été aussi fortes qu’à partir du 11 août, nous ne ressentons plus son arrivée comme aussi imminente que le 31 juillet ou le 3 août. L’impatience est une bien curieuse science mathématique…

8 mois et 1 semaine : l’illusion du sommet

Rien de plus technique que la préparation d’une course d’alpinisme. On veut gravir le Mont-Blanc, atteindre le sommet. Comme pour l’attente d’un enfant, la préparation logistique prend rapidement le pas sur toute autre considération. Il faut préparer les séjours dans les camps d’altitude successifs, ces paliers qui ponctuent l’ascension. Planter les tentes solidement, s’abriter du vent sans s’exposer au risque d’avalanche, installer un système d’éclairage rudimentaire, etc. Tout s’anticipe. La préparation de la vie en camp d’altitude occupe l’esprit, devient le principal sujet de préoccupation.

L’ascension débute demain. La première nuit au camp de base se déroule très bien. Le matin suivant, nous marchons vers le premier camp d’altitude. Le soir, l’installation des tentes me crispe mais tout se passe comme prévu. Le soir suivant, même chose. Jusqu’au camp d’altitude du dernier soir. Je me couche le sourire aux lèvres. Le lendemain matin, je me lève fourbu, harassé par la fatigue, assailli de lassitude. C’est le dernier camp, le dernier jour, mais pas le dernier pas. Le sommet est encore loin. Je doute de mes capacités à l’atteindre.

La grossesse, c’est la même chose : 8 mois et 1 semaine ou le dernier camp d’altitude, l’ultime marche à franchir. Et cette date est passée. Tout est prêt, sauf le bébé semble-t-il, ce qui décuple notre impatience. Nous ne sommes pas encore au sommet, seulement au dernier camp d’altitude. Je l’avais oublié.

Bébé ne fait plus son rototo

Hier, j’ai accompagné ma femme au cours de préparation  à l’accouchement. Les filles sont affalées chacune sur son matelas, moi calé au pied de celui de ma femme. Je ne fais pas le fier. On m’a dit que je pouvais venir, je suis venu. C’est l’unique raison. Autrement, sur le plan de la légitimité, je suis au niveau zéro, à la cave même. Et la sage-femme d’aborder le sujet du jour : l’allaitement. Les filles posent des questions, entrent dans l’échange. Je souffle et tente de me raccrocher aux branches. Et Voilapapa de se remémorer les éléments concrets que l’allaitement lui évoque. Comme dormir chez des amis et devoir aller au petit coin la nuit sans trouver l’interrupteur. On souffle et on rassemble ses idées avant de se lever. « Bon, je dois d’abord sortir de la chambre. La porte est à gauche derrière la petite étagère. J’arrive ensuite dans le salon. Là, je peux longer le canapé pour m’assurer de traverser la pièce dans la bonne direction et trouver la porte des toilettes ». On décide de se lever et là, horreur. La petite étagère est introuvable, le canapé a disparu. On a tout enlevé, les sens se perdent.

Voilà ce qui m’est arrivé hier au cours de préparation à l’accouchement. Je souffle et rassemble mes idées avant d’entrer dans la discussion. Je me souviens bien du rototo, c’est rigolo. Je me rappelle aussi goûter le lait sur la main pour en contrôler la température. Pour tenir le bébé lors de l’allaitement, je n’ai pas tellement d’idée mais je serai attentif à une chose : maintenir sa nuque. Et là horreur. Le bébé ne fait plus de rototo. La nouvelle m’abasourdit, me laisse groggy. Heureusement, je suis déjà couché. C’est bien fait, les cours de préparation à l’accouchement. Un à un, mes faibles repères s’autodétruisent. Chauffer le lait ? N’y pensez pas. Tenir la nuque ? Le nouveau-né a  déjà un réflexe de maintien. Et où sont passées les mamans qui donnent le biberon au nouveau-né ? Comme l’étrange sentiment que les années 1980 et 1990 sont une parenthèse dans l’histoire.

La pizza de maternité

La salle de travail m’impressionne. Je m’attends à un temps d’ascèse parsemé de secousses ; un temps à attendre le bébé, ou les secousses justement, on ne sait plus. Un temps à ne rien faire, ni manger, ni boire, ni se divertir vraiment. Un article de magazine rapidement parcouru, voilà. Dans de telles conditions, je considère comme hautement stratégique le temps qui précède l’arrivée en salle de travail, ces quelques heures passées à la maison autour de la montée en puissance des contractions. J’appréhende une arrivée de Voilamaman en salle de travail en de mauvaises conditions. Et voici ce que je crains le plus et veux repousser absolument : la faim. Imaginer Voilamaman affamée alors que se profilent encore plusieurs heures de travail et l’effort de l’accouchement me paraît insoutenable.
Voilamaman doit manger quelque chose tant qu’elle est à la maison.

Tout à cette idée, je m’occupais du ravitaillement le week-en dernier en compagnie d’un ami espagnol venu nous rendre visite avec une amie belgo-portugaise. Dans chaque rayon, j’annonce : « ça, c’est pour la maternité » et dépose pizzas et plaques de chocolat dans le panier. Une fois rentrés à la maison, mon ami espagnol livre l’état de ses réflexions à Voilamaman : « en Espagne, à l’heure de se rendre à la maternité, le futur papa saute dans la voiture. Chez vous, il fait chauffer une pizza ».

Avons-nous vraiment préparé la naissance ?

C’était hier. Voilamaman et moi préparions la valise pour la maternité et surtout le petit sac qui l’accompagne et contient les affaires de première nécessité pour l’accouchement. Assis en tailleur, autour de nous les innombrables vêtements pour bébé, nous trions.

Je suis pris d’une angoisse inattendue. Toutes ces affaires, c’est très bien, cette quinzaine de bodies, tant mieux, mais sommes-nous sûrs de pouvoir l’habiller la première fois ? Parmi ces quinze bodies, si nous n’avions aucune taille naissance ? Quelqu’un a-t-il vérifié ? Voilà que le souci tout pratique de la vie quotidienne du bébé, le confort de ses premières heures, m’assaillent. Pour la première fois, j’ai vraiment pensé au bébé. Comme le navigateur en partance imminente pour les Indes. Il rêve d’épices nouvelles, se représente le cap de Bonne-Espérance et les privations en mer mais pas ce qu’il emportera dans son paquetage le lendemain. A-t-il vraiment préparé son voyage ? Je m’étais représenté la poussette et l’écharpe de portage. Nous les avons achetées. Mais je n’avais jamais pensé à vérifier avoir quelque chose à mettre sur le dos du bébé. Ai-je vraiment préparé la naissance ?

Et puis non. Je me refuse à accepter cet état de fait. Nous assurerons les conditions de vie quotidienne de notre bébé et c’est ma joie. Je ne me résous pas pour autant à réduire mes pensées au cadre strict de sa subsistance mais les ouvre aux grands horizons de l’espérance (qui loge souvent en de toutes petites choses). Je ne veux pas seulement qu’il survive, je veux qu’il vive.

Le 14 juillet, je n’ai pas osé

Samedi dernier, la nation était en fête. Tout le monde est concerné, les non papas, les papas et les futurs papas. C’est ça, l’esprit de la République. Samedi dernier, nous étions au plein coeur de l’été et le barbecue entre amis n’a pas fait long feu. La pluie était de la partie. C’est ça, un 14 juillet au nord de la Loire.

Un 14 juillet en tant que futur papa, je ne connaissais pas.
Réfugiés à l’intérieur depuis un bon moment, nous devisons autour de la table basse, l’apéritif s’éternise. Et une amie d’aller chercher son bébé qui dort à l’étage, petit bout né trois semaines auparavant. La maman et son enfant entrent dans le salon, le second dans les bras de la première. Le bébé est tellement petit, semble si vulnérable. Il m’impressionne, je reste interdit. Et dire qu’à la naissance, le nouveau-né est encore plus petit, plus frêle aussi. Je n’ose pas demander à la maman de prendre le bébé dans les bras. Quoi, tu n’oses pas alors que dans un mois, tu seras papa ? Mon coeur bat la chamade. Le 14 juillet, je n’ai pas vu de feu d’artifice. J’ai vu un nouveau-né.

La maternité porte bien son nom

J’imagine le trajet en voiture. Les mains tiennent le volant avec fermeté et un peu de crispation, le GPS est allumé alors que j’ai la route bien en tête, ma femme est assise à côté de moi, légèrement plus affalée qu’à l’accoutumée, légèrement plus essoufflée aussi. Pourvu que la voie rapide soit dégagée, le parking de la maternité bien accessible, et que nous soyons rapidement pris en charge.
J’imagine également les heures qui précèdent. A la maison, j’essaie d’offrir une présence rassurante sans trop en faire. Je tente de me rappeler tout ce que ma femme et la sage-femme ont évoqué. Faire couler un bain, ne pas poser de questions, etc.
Non vraiment, la maison et la voiture ne sont pas le sujet du jour. J’imagine la scène avec aisance. Je m’attends à prendre quelques initiatives, ça me rassure.

L’arrivée à la maternité, c’est différent. Je n’imagine pas. Nous sortons de la voiture où futur papa régnait tel un lion en son royaume et débarquons dans l’immense hall de la maternité. Ça grouille de monde, on vient s’enquérir de notre sort, et je suis à pas pressés le petit cortège dans les couloirs jusqu’en salle de travail. Je n’ose pas parler et reste un peu en retrait.
Fort heureusement, nous serons bien pris en charge et le personnel sera très attentif à chacun. Je peine néanmoins à me représenter la place du papa en ces lieux. Dans mon imaginaire de futur papa, la maternité porte décidément bien son nom.

Ca pourrait être maintenant

On m’appelle, pas au téléphone, en bas, une voix pressante. C’est ma femme, pas tout à fait comme d’habitude, elle est pressée. Au milieu de l’escalier, je m’arrête. Ça pourrait être maintenant.

Ma main agrippe la rampe et la serre fort. Nous n’avons pas encore emménagé, nous n’avons pas de poussette, pas de lit, ni…. euh… de toute petite baignoire. Pour la première fois, je prends conscience. Non pas du fait que des accessoires pas du tout accessoires manquent. Je le sais, nous avons prévu les amplettes samedi avant l’emménagement dimanche. Non, pas du tout. Seulement, pour un accouchement imminent, je distingue enfin l’essentiel et urgent du secondaire. Je souhaite à tout futur papa une fausse alerte, même minime, une formule très efficace pour remettre les idées en place. La poussette, par exemple. Utile, certes, mais le jour de la naissance, je pense que nous pouvons nous en passer. Idem pour la toute petite baignoire, pour le lit…

En définitive, en tant que futur papa accroché à ma rampe, je ne vois qu’un élément fondamental sans lequel on ne peut rien : la voiture. Et elle est en révision ! Ma femme, elle, pense à autre chose : sa valise. Et elle n’est pas prête ! Ça aurait pu être maintenant.