Posée sur ses genoux, Voilabébé frappe sur la guitare. Ceux qui disent pff il est normal à 2 ans de ne pas savoir frotter les cordes d’une guitare, seulement la frapper, ceux-là n’auront rien compris. Voilabébé frappe sur la guitare comme on toque à la porte d’un voisin. Il frappe parce que la guitare est habitée. Un monsieur réside ici, un tout petit monsieur. Et tous les matins, comme ses parents se penchent sur son lit à barreaux, Voilabébé pose la guitare sur ses genoux et se penche sur la caisse. Toc toc toc. « Monsieur ? Monsieur ? » Toc toc toc. Fermé, le petit poing potelé toque, annonce la fin de la fête, la fin de la nuit du tout petit monsieur. « Monsieur ? Monsieur ? »
A l’instant où Voilabébé sourit et frappe plus fort, la main à plat, on sait que monsieur s’est levé. « Aïe, aïe, aïe ». Voilabébé frappe de la main droite et se tient la tête de la main gauche. Il imagine monsieur debout dans la guitare, furieux de recevoir de tels coups sur la tête. « Aïe, aïe, aïe ». Monsieur aurait mieux fait de rester couché, il aurait moins mal au crâne.
Voilabébé n’est pas satisfait. Il voudrait entendre monsieur bouger, le bois craquer sous ses tout petits pas. Rien ne bouge, monsieur reste prostré dans un coin. Voilabébé saisit alors la guitare, la lève, la secoue. Et la retourne, les yeux plantés dans le trou de l’instrument. Peut-être monsieur finira-t-il par tomber. On pourrait discuter. Voilabébé est rude avec monsieur mais pas tortionnaire. Il a bien vu les cordes. Il pensait qu’elles ne servaient à rien. Guettant la chute de monsieur, Voilabébé comprend leur utilité. Elles rattraperont monsieur le jour où il passera par le trou. Un filet de sécurité en somme. Une guitare, c’est rudement bien fait.
Et puis le moment vient. L’instant où l’envie me prend de dire à Voilabébé « tu sais bonhomme, les messieurs ne vivent pas dans les guitares ». Et je me retiens. Il ne comprendrait pas. L’esquisse de logique qui germe dans son esprit infantile exploserait puisqu’il a cru sur parole ce que ses parents lui ont dit : « il y a un bébé dans le ventre de maman ». Alors pourquoi pas un monsieur* dans une guitare…
* Personne n’a jamais vu ni le monsieur ni le bébé mais le monsieur, au moins, on connaît son sexe…