Longtemps. Je ne vous ai pas écrit depuis trop longtemps. Janvier, février, mars, avril, mai, début juin. 5 mois. Aujourd’hui, la tâche est ardue. Comment tout dire, résumer 5 mois en 500 mots ? S’ils sont toujours blonds, Voilabébé 1 et 2 ont grandi, ils ont changé. Notre vie a changé.
En 5 mois ? Oui. En 5 mois, la vie d’une famille bascule, celle d’un pays aussi. C’était en 1968, le vent de la révolte a soufflé, fort. Ca a duré 5 mois, de janvier à début juin. Je m’en vais vous raconter notre Mai-68 à nous, la famille Voila.
La vie d’un papa ressemble à celle d’un prof d’université. Sûr de mon autorité, je décline l’interro du soir : « tu es allé sur le pot ? », « et tes dents ? », etc. Et Voilabébé1 file au lit tandis que je dépose Voilabébé2 dans le sien, juste en face (Voilabébé2 n’est pas interrogé, il n’est qu’en première année…). Allongé sur le dos, emmitouflé dans sa turbulette, depuis 3 mois, le rituel se répète ; au geste près.
Un soir de mai, semblable à tous les autres soirs, le rituel terminé, je sors de la chambre, m’en vais dans le salon, retrouve Voilamaman, le calme. Un rire, un cri, des craquements. Je retourne dans leur chambre, ça s’emballe. Voilabébé2 s’agrippe aux barreaux, tente la position debout, le pied droit sur le matelas, le pied gauche sur une petite voiture que l’hurluberlu d’en face a envoyé dans le lit du petit frère. Ca hurle, ça saute, ce n’est plus une chambre en mai 2015 mais Nanterre en mai 1968, La Sorbonne, l’université de Rome occupée par les étudiants.
Je me mue en CRS, ma voix tonne. Ils hurlent de leurs voix qui ne sont pas prêtes de muer, elles. Je ne peux rien, ils n’ont pas peur, ils rigolent trop. S’ils savaient où le Vietnam se trouvait, je jurerais entendre « libérez le Vietnam ». S’ils savaient qu’au pluriel « parents » prend un « -s », j’aurais pu entendre « ParentS-SS »… Je l’ai échappé belle. C’est une révolte ? Non, une révolution. Je ne peux rien tenter.
Je ferme la porte et m’en vais (non sans les envier, ce doit être super marrant, mais je ne peux pas leur avouer). Je me retire en silence. Comme De Gaulle, parti 3 jours, personne ne savait où, au plus fort des événements de Mai-68. Les Français se sont lâchés et puis se sont interrogés. La réaction des Voilabébés fut identique. Les lancers de voitures ont continué, les sommiers ont encore craqué. 5 minutes, 10 minutes ; et plus rien. Un simple son, un seul, osé par l’aîné : « euh… papa ? » La méthode De Gaulle, ça marche !
Je suis revenu. De peur d’être incompris, je n’ai pas lancé le fameux « la chienlit : non » de De Gaulle et me suis contenté d’un « au lit : oui ». Rien n’a changé et tout a changé. Ils ont grandi.