Voilà papa, je suis champion olympique

Au trente-cinquième kilomètre, j’étais loin de la tête de course. J’ai réussi à lancer ma foulée, la grande, la belle, cette foulée qui a fait briller mon régiment lors des compétitions militaires. Et je les ai dépassés, tous, jusqu’à franchir la ligne d’arrivée en tête. Personne ne m’attendait, le sentiment de la victoire était immense, inouï, éternel espérais-je. Voilà papa, je suis champion olympique.

Gagner l’or ne couvre pas d’argent. Outre-atlantique, j’ai alors gagné ma croûte à courir face à des hommes ou des animaux. Le public acclamait la bête de course que j’étais . Ou la bête de foire, je n’ai jamais vraiment su. Comme je gagnais ma vie en courant, je ne pouvais plus participer aux Jeux olympiques réservés aux sportifs amateurs. Malheur, toute ma reconnaissance personnelle est bâtie sur ma victoire olympique, papa. Tout s’est alors emballé, a mal tourné, a échoué. Voilà papa, je suis champion olympique et aujourd’hui, je suis à la rue.

Cet article lance la série  « Voilà papa, je suis ». Les histoires d’un destin qu’une fille ou un fils raconterait à son père. Aujourd’hui, voici les propos imaginaires d’Ahmed Boughéra El Ouafi, champion olympique français de marathon à Amsterdam en 1928, presque aussitôt oublié de tous. Il finira sa vie en 1959, miséreux et assassiné par le FLN dans le contexte de la guerre d’Algérie. 

Arrêtons avec l’avenir de nos enfants ?

Ce vendredi 6 juillet m’a posé problème. Ce jour-là, nous avons fête ou pleuré les résultats du bac et commémoré la disparition de Louis Armstrong. Aucun rapport me dit-on. Et pourtant, en moi, le futur papa trouve rapidement le lien. Le bac, c’est la porte ouverte à un avenir professionnel qu’on imagine prometteur. Louis Armstrong, c’est la carrière la plus fulgurante et la plus généreuse dont on puisse rêver.

Et je me prends à imaginer notre enfant attendre fébrilement les résultats du bac un matin frais de juillet 2030 au pied de l’écran tactile installé à l’entrée du lycée. Je le distingue également en tenue de gala, le sourire éclatant, en communion avec le public. Comme Louis Armstrong. Quelle belle vie.

Aïe, arrête. Je n’ai jamais voulu être gentiment déposé dans une petite case de laquelle je ne pourrais plus m’extirper. Et je me prends à imaginer l’avenir de notre enfant ? Cela me semble d’autant plus ridicule que je me ficherais éperdumment qu’il obtienne le bac ou devienne trompettiste, s’il est heureux. Bien entendu, je tiens à ce que notre enfant détermine lui-même le sens qu’il souhaite donner à sa vie à partir des repères que sa famille et la société lui offrent. Pourtant, je ne peux m’empêcher de l’imaginer plus tard, une fois adulte. J’ai besoin de nous projeter dans l’avenir, je le reconnais… Et dire qu’il n’est même pas encore né.

Voilà ma question exisxtentielle : comment préserver l’avenir de son enfant sans l’étouffer avec ses propres rêves de parents ?