Dans la chambre en pleurs, seul, dans le noir, voilà bien le seul moment où je suis avec lui, tout à lui.
Pourtant, je me sens seul la nuit quand mon bébé hurle, étouffe ses pleurs dans son ours à tel point que je ne peux voir sa tête. En boule, il résiste, il se crispe, ne se laisse pas attraper. S’il faut le laisser dans son lit, je dois aussi rester là, tout à côté. Je dois entendre son souffle hoquetant de pleurs et lui doit humer ma présence, entendre mon souffle un peu désemparé. Une espèce de contrat tacite – si-tu-pars/je-hurle – se joue là, dans le noir. Je le sens seul, je me sens seul, et nous restons là. A deux. Je ne sais pas quoi faire. Je n’arrive pas à rester là pour rester là. La patience est cruelle la nuit.
A mesure que le temps coule, je me prends à devenir moins tolérant, à ne plus vouloir l’entendre pleurer. Et puis, il ne veut pas que je le porte. Je pourrais le bercer autrement. Là, je ne peux rien. Je suis là, c’est tout. Ma présence le rassure, j’en suis heureux. Mais mon immobilité me pèse, je subis les minutes qui s’égrènent à force de n’avoir rien d’autre à faire que les compter. Pas les moutons, les minutes. Je me vis mal en sablier géant. Et debout, les bras accoudés sur le lit de Voilabébé, les fourmis viennent rapidement. Je vais devoir bouger pour éviter l’engourdissement, marcher, faire craquer le parquet. Et Voilabébé croira que c’est fini, que je m’en vais. Et il hurlera encore une fois. Tout sera à recommencer.
La nuit dernière, il a pleuré. Je n’ai pas aimé me lever, comme d’habitude. Voilamaman est allé au charbon la première. Après un court répit qui nous a fait croire à une deuxième partie de nuit tranquille, j’y suis allé à mon tour. Cette fois, l’impatience n’a pas vaincu. J’ai tout changé. Les autres nuits, j’étais debout. Cette fois, je me suis assis, tout contre son lit. Et puis j’ai raconté une histoire. Banal me dira-t-on. Lassant. Rien de nouveau sous le soleil. Pas tout à fait.
Cette fois, je ME suis raconté une histoire. Je l’ai racontée à Voilabébé bien sûr. Que la voix te berce, mon petit bouchon prostré dans son lit. Mais pour tenir le temps, ne pas guetter le moindre mouvement de réveil, cette histoire, elle était pour moi aussi.
Comment se raconter une histoire ? Cousu de fil blanc ce truc. Pas tout à fait. J’ai pensé aux cadavres exquis. Quelqu’un écrit un nom sur un papier, on plie, son voisin écrit un verbe, etc. J’ai raconté l’histoire d’un hippopotame qui ne parvenait pas à dormir (je vous passe les détails).
Il rencontre un rhinocéros qui ne parvient pas non plus à dormir. Et que se passe-t-il entre l’hippopotame et le rhinocéros ? Je n’en savais rien mais je n’ai pas arrêté de parler et j’ai su ce qu’il s’était passé entre les deux gros (ils ont entamé une partie de poker). Et ainsi de suite. Tout les animaux de la savane y sont passés. Cette histoire que je ne connaissais pas, j’aimais nous la raconter, à Voilabébé et à moi. Je n’ai pas vu le temps passer. Mon seuil de tolérance s’est considérablement abaissé. A la fin, ils dormaient tous. Les animaux de la savane et Voilabébé. J’étais presque triste. Presque…